Introduction
Au mois d’avril, la pêche aux coques annonce l’arrivée des beaux jours et le changement de saison tant attendu. Alors que l’hiver était synonyme « d’encabanement », la chaleur printanière ramène le plaisir de se retrouver à l’extérieur, de profiter de l’allongement des jours et du soleil. Pour les gens de la côte, la pêche aux coques s’affiche alors comme un événement phare de ce temps de l’année. Au printemps, mais aussi à l’automne, des centaines de Gaspésiens et de Gaspésiennes se rejoignent le long de la côte pour pêcher la mye commune (mya arenaria), un mollusque mieux connu sous le nom de « coque ».
Mais quelles sont les traditions rattachées à cette pêche ? De la fabrication du pêche-coque aux recettes familiales, la coque est devenue le symbole d’un rapport étroit à la mer et à ses ressources. Malgré son caractère ancestral, cette activité ancrée culturellement dans la région n’a fait l’objet que de peu de recherches, et ce, même si elle s’inscrit parmi les activités incontournables pour beaucoup de Gaspésiens et de Gaspésiennes depuis fort longtemps.
C’est pourquoi une équipe de recherche s’est penchée sur plusieurs aspects de cette pratique, qui peuvent être considérés comme des éléments du patrimoine immatériel gaspésien. À travers un travail d’enquête de type ethnographique et documentaire, le projet vise à mieux faire connaître cette pratique aux citoyennes et aux citoyens de tous âges, mais plus particulièrement aux jeunes. Les résultats de la recherche, le matériel vidéo et d’autres outils de transfert de connaissances seront diffusés de plusieurs façons pour rejoindre le plus grand nombre de personnes. Ce projet participera ainsi à une meilleure connaissance de cette pratique du patrimoine immatériel et à sa mise en valeur.
Dans les prochaines lignes, nous nous attarderons aux objectifs généraux du projet, à la méthodologie de recherche et aux livrables, mais nous présenterons surtout les principaux résultats obtenus lors de cette étude.
Les objectifs
L’objectif général de ce projet est d’accroître la connaissance des éléments du patrimoine immatériel québécois ainsi que l’état de leur pratique. Trois objectifs spécifiques sont identifiés :
- Sensibiliser diverses clientèles à l’importance de ce patrimoine immatériel dans l’histoire gaspésienne;
- Documenter la pêche aux coques, une pratique ancestrale et culturelle significative dans l’histoire gaspésienne;
- Créer des outils de diffusion pour partager les résultats de la recherche.
La méthodologie
La méthodologie de recherche utilisait une approche mixte entre l’ethnographie et la démarche documentaire. La partie ethnographique consistait en la réalisation d’entretiens semi-dirigés, à partir d’un schéma d’entrevue, qui se sont déroulés directement chez les personnes ou à un endroit de leur choix. Les entretiens ont été réalisés auprès de 15 personnes qui habitent dans la MRC Avignon et celle de La Côte-de-Gaspé. Bien qu’il eût été planifié de rencontrer des personnes en Haute-Gaspésie, l’équipe de recherche a choisi de réaliser les entretiens seulement dans des lieux où cette pêche est toujours permise.
La partie documentaire visait à réaliser une série de courtes capsules vidéo, lesquelles présentent les différentes étapes de la pratique de la pêche aux coques :
- la préparation (fabrication des outils, habillement, etc.);
- la pratique (la pêche elle-même);
- la transmission des savoirs;
- l’après (transformation du produit à des fins alimentaires);
- la symbolique.
Le scénario pour le tournage de ces capsules a été élaboré à la suite de l’analyse des données qualitatives collectées. Le lieu choisi pour le tournage a été Miguasha, dans la Baie-des-Chaleurs.
Les livrables :
Une fois le contenu des entrevues colligé et analysé, l’équipe de recherche a préparé plusieurs outils afin de diffuser les résultats et de mettre en valeur ce patrimoine immatériel qu’est la pratique de la pêche aux coques. À cette fin, les moyens de diffusion suivants ont été identifiés :
- six capsules vidéo illustrant les thèmes du projet (la préparation, la pratique, la symbolique, la transmission et l’après);
- Un balado réalisé en collaboration avec deux étudiants du Cégep de la Gaspésie et des Îles, campus de Carleton-sur-Mer;
- des fiches pédagogiques pour guider les enseignantes et les enseignants du secondaire souhaitant aborder le sujet de la pêche aux coques avec leurs élèves;
- deux causeries sur le thème de la pêche aux coques prévues : l’une à l’été dans le cadre de la programmation de l’Écomusée Tracadièche et l’autre en octobre dans le cadre du Festival La Virée.
L’ensemble de ces activités de diffusion participeront à la mise en valeur et à la sauvegarde d’un patrimoine immatériel régional, tout en participant à la transmission intergénérationnelle de cette pratique.
Les résultats
Lors des entretiens réalisés, un ensemble de thématiques a été identifié afin de faire une chronologie des étapes liées à cette activité. Les analyses qualitatives des entretiens dégagent plusieurs éléments communs sur cette pratique et mettent aussi en évidence la pertinence de documenter ce type de pratiques ancrées dans le territoire. Nous présentons un résumé des cinq thèmes qui ont été traités dans l’enquête soit la préparation, la pratique, la symbolique, la transmission et l’après.
La préparation :
Il est nécessaire de bien connaître le lieu où l’on pratique la pêche aux coques. Les participantes et les participants mentionnent l’importance de bien observer le mouvement des marées. Il faut voir si la marée est basse. Ils notent que plus elle baisse, mieux est le terrain pour la pêche. La journée même, on doit se rendre sur la batture environ une heure avant la marée basse pour profiter de sa dernière heure de descente. Il est essentiel de savoir qu’il n’est pas possible d’aller partout sur la batture. Connaître les limites de pêche et les zones où il est permis de pêcher est de mise.
Un autre élément à considérer est le matériel nécessaire pour que l’activité puisse se réaliser dans les meilleures conditions. Il y a des participantes et des participants qui mentionnent qu’il faut prévoir un bac avec des trous pour rincer les coques, un pêche-coque ou une pelle longue et parfois un filet de pêche pour mettre les coques. Un habillement approprié pour l’activité est composé de gants et de bottes chaudes et imperméables.
Pour prévoir le retour avec une bonne quantité de coques, certaines personnes utilisent de petits traîneaux, mais d’autres accrochent leur chaudière au manche du pêche-coque pour les ramener avec l’aide d’une autre personne.
La pratique :
Les périodes de l’année pour réaliser cette pêche se situent d’avril à mai, aussitôt que les glaces sont décollées, et aussi durant l’automne, lors des grandes marées basses ou descendantes.
Selon les personnes rencontrées, il faudrait se rendre à la batture la plus loin pour avoir des coques plus grosses, bleues et meilleures au goût. Il est conseillé de choisir un endroit où il n’y a pas trop de monde et où il y a le plus de trous dans le sable. En effet, le présences des coques se révèle grâce aux trous qu’elles font dans le sable pour respirer. Il existe une règle non écrite qui consiste à ne pas aller dans le même « spot » que d’autres personnes.
Les participants remarquent que les qualités d’un bon pêcheur de coques s’articulent autour de son agilité, sa force physique et ses connaissances. Un commentaire qui revient constamment est l’agilité, voire la délicatesse du pêcheur. Il ne brise pas les coques. On ne voit pas les coques dans le sol, on ne voit que les trous d’aération. Le pêche-coque risque donc à tout moment d’abîmer la coquille. Le pêcheur de coques a de bonnes capacités physiques. Cette remarque revient à plusieurs reprises : de bonnes épaules, de bons bras. Marcher dans l’eau et le sable, lever une chaudière, travailler avec le pêche-coque, tout ça est difficile. Il faut être patient et de bonne humeur. Un bon pêcheur est aussi efficace, il doit bien connaître le territoire, être courtois, et connaître la météo. Ce sont des qualités assignées aux gens qui pratiquent cette activité.
Concernant la procédure pour les pêcher, bien que cela dépend du pêcheur ou de la pêcheuse, la technique consiste essentiellement à lever des pelletées de sable pour ressortir les coques. Il faut savoir qu’il y a une limite de coques qu’on peut pêcher et une restriction sur les grosseurs de coques qu’on peut rapporter. Il faut toujours se renseigner sur la réglementation pour s’assurer de pêcher en toute légalité.
Les personnes qui pratiquent cette pêche sont unanimes : la pêche se déroule dans une ambiance festive et rassembleuse. En effet, ceux et celles qui pratiquent cette activité sont généralement accompagnés d’amis ou de membres de leur famille, quoiqu’il soit aussi possible de trouver des personnes autonomes et qui y vont seules. En tant que pratique sociale, on peut la définir comme un moment propice aux belles discussions puisque les gens sont décontractés et relaxes.
On note que plus d’hommes que de femmes s’adonnent à cette pratique. Toutefois, les personnes interviewées notent que de plus en plus de femmes s’adonnent à cette activité et que la pratique est parfois délaissée à l’adolescence, mais qu’elle reprend plus tard vers l’âge adulte.
La symbolique :
Les liens entre le territoire, comme espace vécu, et une pratique spécifique peuvent être représentés par des symboles. Un symbole étant un objet matériel (par exemple le mollusque, ou un lieu) qui transmet quelque chose d’immatériel (par exemple un sentiment). Ainsi, d’un lieu ou d’une pratique peuvent émerger des éléments symboliques dans la mesure où ils signifient quelque chose pour un ensemble d’individus d’une communauté[1].
Deux dimensions ressortent d’une façon plus évidente lors de nos entretiens : la première est liée au mollusque lui-même, l’autre à la nature. La coque est pêchée, évidemment, pour être mangée. Son goût est souligné à quelques reprises. Cependant, ce qui revient le plus souvent est le rapport étroit à la nature. Les participantes et participants mentionnent l’air salin, la proximité avec la nature, le réveil du printemps, la première sortie à la plage. Enfin, la socialisation et la transmission sont également des aspects qui sont mentionnés.
Les participantes et les participants sont unanimes, il s’agit d’une pratique importante à préserver. Ils disent que, non seulement cela différencie la Gaspésie des autres régions, mais que cette activité est rassembleuse et familiale. On souligne qu’il est important de transmettre les connaissances sur cette pratique à des gens qui n’ont pas la chance de la faire. La question de l’autosuffisance alimentaire a aussi été mentionnée, puisque c’est une ressource qui est là, qui est disponible et accessible.
Quelques anecdotes ont aussi été recueillies. Elles sont toutes uniques, très personnelles et drôles. Nous ne trouvons jamais rien de dramatique ou presque dans leurs récits. Toutes les histoires font sourire, elles sont en lien avec la nature. Voici quelques exemples des histoires racontées :
Un participant mentionne : « Mes parents acceptaient que moi et mon frère allions aux coques à la place d’aller à la Messe ». Il se souvient être déjà tombé à l’eau et être retourné chez lui. Puisqu’il était revenu avant les cloches, sa mère lui avait ordonné de se changer et d’aller à la messe. Morale de l’histoire : même s’il tombait dans l’eau lors des pêches suivantes, il s’assurait de ne pas revenir chez lui avant que les cloches aient sonné, pour être certain de ne pas devoir aller à la messe.
Une autre personne raconte : « C’est familial et ça nous rassemble autour de la mer. C’est un patrimoine de la Gaspésie à garder et ça se perd à cause de l’alimentation industrielle. »
La transmission :
Les participants accordent de l’importance à la transmission de la pratique. Cela n’est jamais évoqué explicitement, mais on comprend bien qu’il s’agit d’un vecteur identitaire. Par exemple, une participante mentionne : « c’est une partie de nous, de ma famille, des gens d’ici. Il y a quelque chose de très familial dans cette transmission. Le premier cercle est touché ».
Cette pêche s’apprend directement sur le terrain. On accompagne. On observe. Quelqu’un nous montre. On n’apprend pas par soi-même. Certaines personnes font cette initiation très jeune. En effet, plusieurs témoignent de leurs premières expériences de pêche aux coques en étant accompagnées des membres plus âgés de leur famille. Pour d’autres, l’apprentissage se fait plus tard, à l’âge adulte. Il y a toujours une pêcheuse ou un pêcheur expérimenté qui montre, qui transmet le savoir. Ce n’est pas nommé clairement, mais on peut comprendre que cet apprentissage ne se fait jamais dans un cadre formel.
La très grande majorité des souvenirs sont liés au territoire, à la nature. Tout est dans la proximité avec le territoire. Les gens ont des souvenirs liés au sol, au paysage, aux éléments de la nature. Les trous d’aération, l’horizon, les jeux dans le sable, le soleil, l’aide apportée aux plus vieux. Un participant raconte même avoir déjà pêché alors qu’il y avait une tempête de neige! Un autre parle de la vente de coques au bord de la route.
L’après :
Après la pêche, certaines étapes sont réalisées avant que les coques ne se rendent à l’assiette.
Premier rinçage sur la batture : la grande majorité des gens vont faire un premier rinçage directement sur la batture. Ils vont sortir les coques de la chaudière et les rincer avec l’eau de mer pour les remettre dans la chaudière avec de l’eau de mer pratiquement propre. Un participant mentionne que c’était un moment important puisqu’à l’époque, il devait apporter des coques propres et non cassées pour les vendre aux acheteurs.
Rinçage à la maison : la plupart des gens mentionnent mettre les coques dans une chaudière remplie d’eau salée pour les laisser se vider de leur sable. Un participant mentionne mettre ses coques dans un traîneau sur une grille pour que le sable tombe au fond du traîneau. Quelques-uns vont les manger le jour même, il y aura donc moins de temps de rinçage. D’autres vont les laisser dans la chaudière une nuit ou même jusqu’à trois jours. Advenant le cas que les coques ne sont pas mangées le jour même, l’eau sera changée chaque jour pour la préservation.
Cuisson : la plupart vont cuire les coques sans eau, puisque les coques sont gorgées d’eau et la laisseront sortir durant la cuisson. Toutefois, quelques-uns vont cuire les coques dans un fond d’eau de mer ou bien un peu de vin blanc ou de bière. Pour le temps de cuisson, ça varie entre 10 et 25 minutes pour les participantes et les participants rencontrés. Certaines personnes affirment se fier à l’ouverture de la coquille des coques pour déterminer la fin de la cuisson. D’autres vont laisser cuire 10 minutes après l’ouverture de la coquille ou 10 minutes après le début de l’ébullition. Quelques personnes mentionnent ajouter des algues durant la cuisson, car cela donne du goût aux coques. Concernant la personne qui s’occupe de la cuisson, le genre ne semble pas avoir d’importance. En effet, les participantes et les participants mentionnent que ça peut être les hommes ou les femmes qui s’occupent de cette étape.
Recettes : La majorité des gens vont manger leurs coques seulement trempées dans le jus de cuisson et/ou le vinaigre. Il y a aussi des gens qui mettront les coques en pot ou qui vont les canner pour les garder plus longtemps. La « clam chowder » a été nommée à plusieurs reprises. Le bouillon de la soupe est formé du jus de cuisson, de lait et/ou de crème. De plus, les ingrédients principaux de ce repas sont la carotte, le céleri, l’oignon, et la patate. Quelques personnes ont mentionné rajouter du bacon ou d’autres fruits de mer. Aussi, une dame a dit mettre une cuillère de Cheez Whiz comme sa mère faisait. Elle dit que ça donne le liant à la crème. Il y a aussi d’autres façons de manger les coques que celles mentionnées par les personnes rencontrées, comme les coques gratinées, frites (tempura ou pâte à crêpe) et sur une pizza avec de l’ail. L’imagination permet de manger les coques n’importe comment, selon les goûts des gens. Pour ce qui est de la personne qui cuisine, ce n’est pas strictement réservé aux femmes, mais ce sont majoritairement elles qui s’en occupent.
La place dans leur vie/occasion de manger : la plupart des personnes vont manger les coques à Pâques lorsqu’elles les pêchent. D’autres en garderont pour des occasions spéciales comme la visite de la famille l’été, un souper d’ami ou un « pot luck ». Quelques-uns vont manger les coques n’importe quand comme tout autre aliment. De plus, plusieurs mentionnent que les coques ne prennent pas particulièrement une grande place dans leur vie. Ils penseront à cette pratique quand viendra le moment de l’année où c’est possible de pêcher. D’autres disent qu’ils en parleront dans des rencontres familiales pour se remémorer des souvenirs. Une personne a dit que ça la motive au printemps de penser à la pêche aux coques, une autre que ça l’inspire en tant qu’artiste et une autre dit avoir à cœur le fait d’informer les gens sur cette pratique pour transmettre la tradition même hors saison.
Conclusion
Nous pouvons mentionner que la tradition orale donne des pistes intéressantes quant au rapport qu’entretiennent les habitantes et les habitants du territoire avec la pêche aux coques. Toutefois, comme cette pêche demande aux gens qui la pratiquent un certain bagage de connaissances, il semble important d’effectuer un travail de documentation de la pratique, mais aussi de vulgarisation des savoirs afin d’assurer un transfert de connaissances qui pourra se pérenniser dans le temps. C’est précisément l’ambition du présent projet. Les outils de transmission de connaissances produits pourront être relayés dans plusieurs sphères de nos communautés côtières et, espérons-le, susciteront l’intérêt de ceux et celles qui n’ont pas encore pratiqué la pêche aux coques.
[1] Explication inspirée de la définition du symbolique dans : Monnet, J. (1998). La symbolique des lieux: pour une géographie des relations entre espace, pouvoir et identité. Cybergeo: European Journal of Geography
Photo : Véronique St-Onge